lundi 24 octobre 2016

03 - Sarah la baigneuse - Théodore Thurner




Tournons à nouveau les pages de notre livre pour découvrir un nouveau chapitre, une nouvelle aventure. Nous sommes loin d’être au bout de nos surprises. Ces pages renferment des petits trésors. 

Nous quittons donc Guillaume Tell, pour… Sarah la baigneuse… tiens tiens tiens un petit voyage dans l’orientalisme du 19ème ?

J’espère que cette idée de blog poussera les pianistes aguerris à vouloir entreprendre l’enregistrement de toutes les pièces. Ce serait vraiment super. Car cette version de Sarah la baigneuse de Théodore Thurner n’a pas su traverser le temps pour se hisser dans les grands tubes de la musique classique écoutés aujourd’hui. Et pourtant on le verra plus tard elle a eu son petit succès (mondial !) à sa sortie.

Théodore Thurner


C’est d’abord dans les archives de l’Académie des sciences, Lettres et beaux-arts de Marseille que l’on va trouver quelques informations. Un des académiciens, Charles Vincens, écrivit un long hommage dans les mémoires de l’académie datées de 1907 à la mort de Thurner :

« Théodore Thurner était né le 13 décembre 1833, à Pfaffenheim (Haut-Rhin), dans une famille de musiciens, originaire du Wurtemberg ; son grand-oncle, Frédéric-Eugène Thurner, hauboïste distingué et compositeur de trios, et de quatuors, était mort à Amsterdam en 1827, mais une partie de sa famille était venue se fixer en Alsace ; et le jeune Théodore fut une nouvelle preuve de cette hérédité intellectuelle et morale qu'on appelle l'atavisme : dès le berceau, pour ainsi dire, il était artiste et, à peine âgé de 8 ans, il exécutait déjà sur le piano les concertos de Mozart, en faisant avec son père des tournées artistiques. Un concert donné à Saint-Étienne par cet enfant prodige fut surtout mémorable. Puis, à 12 ans, il écrivait sa première œuvre pour piano, cette fameuse, brillante et élégante Sarah la Baigneuse dont la vogue fut si grande plus tard lorsque, venu se fixer à Marseille, en 1859, Thurner se voyait obligé de la faire entendre dans tous les salons, où l'on s'arrachait — c'est le mot — ce jeune pianiste élégant, déjà incomparable dans son exécution, et parfait homme du monde. »

Certains commentaires ont pris des rides… la notion d’atavisme est drôlissimement désuète…

On apprend qu’avant de se fixer à Marseille, il est passé par Toulon : « l'année suivante, en 1850, les circonstances l'amenèrent avec sa famille à Toulon, où il tint les orgues de l'église Saint-Jean, puis, de la cathédrale, en donnant quelques leçons aussi de piano. »

Décidément ce livre nous amène définitivement dans le midi, pour l’instant du coté de Toulon et Marseille. D'autant plus que la partition vient de là : toujours le sceau de SALF Toulon.


C’est quelques années plus tard que Mr Etienne Martin, peintre et pianiste à Marseille et lui aussi membre de l’académie, prît sa plume pour raconter Th Thurner. Dans les mémoires datées de 1912-1915, il écrivit : « Un soir de l'année 1875, je parcourais la rue Saint-Ferréol. Tous les magasins étaient fermés, sauf celui de Carbonel, l'éditeur de musique. J'y jetais machinalement les yeux. Dans le fond, Thurner était au piano. Je n'entendais rien, mais je voyais parfaitement. Et c'est ainsi que, pour la première fois, j'ai vu Thurner jouer du piano. L'année suivante, en 1876, le Cercle Artistique donnait un grand concert par invitations, avec Thurner au programme. Impossible de me faufiler. Pourtant on me laissa pénétrer dans la salle de peinture attenante à la salle de musique. Je ne voyais rien, mais j'entendais parfaitement. Et c'est ainsi que, pour la première fois, j'ai entendu Thurner jouer du piano. Mais voir sans entendre, entendre sans voir, ne suffisaient plus à ma juvénile impatience. Je voulais mieux : je voulais prendre des leçons de Thurner. »

Il évoqua Théodore Thurner professeur, absolument incontournable sur la place Marseillaise dans les années 70 (euh… 1870… J ) et nous connaissons même son habitation : « tous ceux qui s'occupèrent de piano défilèrent dans cette petite maison de la rue Marengo, n° 12 »


« Il fallait suivre Thurner durant les leçons: Debout, marchant à grands pas, il semblait abandonner son élève pour aller examiner un meuble ou un tableau, mais en réalité ne le quittait pas d'une seconde. Il rectifiait d'un mot, activait d'un geste, lançait une critique aussitôt tempérée par un encouragement. Il vous arrêtait aux plus minimes détails, vous faisait recommencer une phrase, une mesure, l'attaque d'une note jusqu'à satiété. »

Je reconnais là cette passion, cette abnegation que beaucoup de professeurs de Musique portent chaque jour. Ça me donne l’idée, l’envi de rendre hommage à mon tour à tous ceux qui ont pris de leur temps pour me transmettre la musique. J’en ferai un article à part dans un coin du blog.

Revenons à notre Théodore Thurner ou plutôt Etienne Martin qui écrit plus tard cette importance de la précision dans la transmission de la musique. Un peu de finesse dans un monde de brûtes en somme : « Ce sont d'imperceptibles nuances de toucher qui différencient le « broyeur d'ivoire » de l'artiste, le « charlatan » du sensitif. » J’aime beaucoup l’expression J.

Etait-ce de l’élitisme,  de l’impuissance ou de la franchise… mais Thurner pût n’être pas tendre avec les parents d’élèves… « A la mère d'une nouvelle élève, non préparée à ce genre d'exercices : — « M. Thurner, il me semble que ma fille ne progresse pas " avec vous comme je l'espérais ? »

— « Comment, Madame ! en trois mois j'ai appris à votre « fille qu'elle ne savait rien et vous n'êtes pas satisfaite? "

Pareillement, que deux fois, dans le cours de sa carrière, il dit à des parents grisés ;

— « Ne m'attendez plus ; votre enfant n'est pas doué et je « vous vole votre argent ! " »

Lorsque Théodore Thurner était content de son écolier, il l'emmenait, le soir, boire un verre de bière. Natif d'Alsace, il était resté un fin dégustateur et il connaissait toutes les brasseries de Marseille. Etienne Martin décrivit le Pianiste, l’organiste, le compositeur et l’homme. Voici le lien Gallica du document original.

On en apprend un peu plus sur cette fameuse Sarah la baigneuse : Thurner composa dès son plus jeune âge puisque,

« Vers ses 14 ans, parut cette Sarah la Baigneuse qui fit d'emblée le tour du monde, grâce à sa mélodie facile, et dont Thurner était cependant si peu fier qu'il ne cessait de la désavouer :

— « J'étais un enfant alors, disait-il. »

Plus tard, un de ses cousins de même nom tenta de lui en voler la paternité. Il lui écrivit :

— « Tu veux ma Sarah ?... Je ne demande pas « mieux. Prends-la donc et débarrasses m'en pour « toujours. »

La vérité est que Thurner ne cessa de s'élever avec une rectitude et une gradation admirables : Tel cet aigle superbe qui fonce droit sur le soleil !... »

Au-delà de l’âge… 12 ans ou 14 ans il sera difficile de dire aujourd’hui lequel de ces académiciens a raison. Mais nous savons donc que cette pièce a été écrite entre 1845 et 1847. Cela correspond bien à mon estimation de l’âge du livre. J’ai trouvé dans les méandres d’internet un tableau du port de Marseille fait part Etienne Martin. Cela nous plonge un peu dans ce voyage à travers le temps. L'immeuble de gauche est toujours présent et assez reconnaissable.....

 
Théodore Thurner est désormais plus qu'un boulevard de Marseille...

 


Sarah la Baigneuse


C’est en 1929, soit plus de 15 ans avant la pièce de Thurner que Victor Hugo écrivit Sara(sans h) la baigneuse dans son recueil les orientales. Ce poème rencontra un tel succès qu’il inspirât nombre de sculpteurs, peintres ou musiciens par la suite…

 

Un blog entier pourrait être consacré à ce seul sujet… Je n’irai pas plus dans le détail, du moins pour l’instant. Donc place à un peu de poésie dans ce monde de brutes, que diantre ! Voici la séquence érotique de ce blog :

Sara, belle d'indolence,
Se balance, se balance
Dans un hamac au-dessus
Du bassin d'une fontaine,
Toute pleina
D'eau puisée à l'llyssus.
Ah!


Et la frêle escarpolette
Se reflète
Dans le transparent miroir
Avec la baigneuse blanche
Qui se penche pour se voir.
Chaque fois que la nacelle,
Qui chancelle,
Passe à fleur d'eau dans son vol,
On voit sur l'eau qui s'agite
Sortir vite
Son beau pied et son beau col.


Elle bat d'un pied timide
L'onda humide
Qui rida son clair tableau;
Du beau pied rougit l'albâtre;
La folâtre
Rit de la fraîcheur de l'eau.


Reste ici caché! Demeure!
Dans une heure,
D'un _il ardent tu verras
Sortir du bain l'ingénue
Toute nue.
Croisant ses mains sur ses bras.
Car c'est un astre qui brille
Qu'une fille
Qui sort du bain au flot clair,
Cherche s'il ne vient personne
Et frissonne
Toute mouillée au grand air.


Mais Sara la nonchalante
Est bien lente
A finir ses doux ébats.
Toujours elle se balance
En silence
Et va murmurant tout bas:
Oh! si j'étais capitane
Ou sultane,
Je prendrais des bains ambrés
Dans un bain de marbre jaune,
Près d'un trône
Entre deux griffons dorés
J'aurais le hamac de soie
Qui se ploie
Sous le corps prêt à pâmer
J'aurais la molle ottomane
Dont émane
Un perfum qui fait aimer.
Je pourrais folâtrer nue
Sous la nue,
Dens le ruissseau du jardin,
Sans craindre de voir dans l'ombre
Du bois sombre
Deux yeux s'allumer soudain.


Puis je pourrais, sans qu'on presse
Ma paresse,
Laisser avec mes habits
Traîner sur les larges dalles
Mes sandales
De drap brodé de rubis.
Ah! . . . ainsi se perle en princesse,
Et sans cesse
Se balance avec amour
La jeune fille rieuse
Oublieuse
Des promptes ailes du jour.
Et cependant des campagnes
Ses compagnes
Prennent toutes le chemin
Voici leur troupe frivole
Qui s'envole
En se tenant par la main.
Chacune, en chantant comme elle,
Passe et mêle
Ce reproche à sa chanson:


Oh! la paresseuse fille
Oui s'habille
Si tard un jour de moisson!

Victor Hugo

 

Décalage de civilisation en deux siècles. Je prends conscience que Théodore Thurner  en jeune adolescent qu’il était, du haut de ses 12-14 ans voulût non seulement proposer une pièce de piano, mais par-là même rendre hommage à cette oeuvre de Victor Hugo. Définitivement nous sommes bien loin du 19ème siècle.

 

Hommage à la Duchesse de Vicence


 
J’ai trouvé quelques informations dans Geneanet. Notre Duchesse de Vicence n’était autre que Louise, Adrienne de CARBONNEL de CANISY. Mariée, contre son gré, à treize ans et trois mois à un de ses oncles, elle divorça et se remaria en 1814 avec Armand Augustin Louis, marquis de Caulaincourt, duc de Vicence, malgré la volonté de l'empereur Napoléon. Elle était considérée par nombre de ses contemporains comme l'une des plus belles femmes de son temps, et fut l'objet de commentaires élogieux. Celui laissé par le Général Maximilien Lamarque dans ses Mémoires, après un dîner le 25 janvier 1825 - Adrienne a alors quarante ans - est particulièrement enthousiaste.

"La belle Mme de Vicence est une de mes adorations; je l'ai vue hier entourée de dames moins jolies qu'elle; mais elle n'a pas besoin d'opposition pour frapper les regards. Quelle régularité dans les traits! Que de noblesse et de majesté dans son port! Que d'esprit et de bonté dans son regard! Je ne suis pas étonné des passions qu'elle a faites; je ne serais pas surpris de celles qu'elle ferait encore: une femme comme celle-là ne vieillira jamais; les débris de sa beauté seront comme ceux du Colisée: ils exciteront encore l'admiration."

Quel est le lien entre Théodore Thurner et la duchesse ? Voilà une autre piste qu’il faudra explorer.

 

Hector Berlioz


Encore ! Il est à noter qu'Hector Berlioz, mon voisin de la cote Saint André à aussi crée sur sa "Sarah la baigneuse". Il est un fil rouge jusque là sur l'ensemble de ces premiers articles.
Place à la musique, un joli moment que voilà...




Ce chapitre 3 se termine comme les précédents avec la partition entière. Amis pianistes, à vos didis !